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Les 12 saynètes

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Vous y trouverez l'histoire la distribution, un commentaire et un extrait pour chacune d'entre elles.

vendredi 8 avril 2016

LES FANTÔMES DE RAGUIN




Commentaire : Saynète tirée de LÉGENDES D’ANJOU ET D’AILLEURS écrite en 2004, la plus ancienne de ce recueil donc. Elle a souvent été jouée individuellement et a traversé l'océan pour le Québec et l'Europe pour la République Tchèque. Elle est tirée d'une légende du Haut-Anjou à la suite d'un drame au château de Raguin près de Chazé-sur-Argos.
Durée approximative : 10 minutes
Personnages : 1 femme- 2 hommes- 1 voix off
Le peintre : Jeune artiste fauché qui a profité de l’hospitalité du Seigneur Raguin pour séduire sa femme et en faire sa maîtresse. Il n’accorde pas trop d’importance aux soupçons que dame Raguin peut avoir au début de la saynète. Pour lui, son mari n’est qu’un barbare et un imbécile pour délaisser une telle femme.
Dame Raguin : Grande dame séduite par la délicatesse du peintre qui contraste avec le caractère plus rude du Seigneur Raguin. Toutefois elle redoute son mari et ne le sous-estime pas.
Seigneur Raguin : Riche châtelain, adepte de la chasse à cour. Sera-t-il dupe encore longtemps de la  liaison de sa femme avec le peintre ?
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A Jardin, un divan style renaissance. A cour, un peintre est figé lui aussi devant son chevalet, le pinceau suspendu, l’air concentré.

Voix off : Chaque château a son histoire…Chaque histoire a ses passions… Chaque passion a sa jalousie. 

Un temps.

Voix off : Le château de Raguin sur la commune de Chazé-sur-Argos n’échappe pas à la règle.

Un temps.

Voix off : Chaque histoire a ses passionsChaque passion a sa jalousie…Chaque jalousie a ses fantômes…

Le peintre s’anime soudain, pose ses pinceaux et sa palette avant de s’essuyer les mains dans une serviette. Il retire la toile et la remplace par une autre. Celle-ci comme l’autre restera cachée du public.

Une horloge invisible sonne le quart.

Le peintre ne paraît pas satisfait de son travail, il observe le divan, puis sa toile et redonne quelques  petits coups de pinceaux secs. Il chantonne l’air de « Madeleine » de Jacques Brel.

L’horloge sonne encore le quart.

Le peintre : (parlant à l’horloge invisible) Oui, bon, j’ai compris…Je n’y peux rien moi, si Dame Raguin n’est pas à l’heure.

Il reprend un instant son activité puis s’arrête, contemple le tableau puis le divan vide.

Le peintre : Pas mal….Les ornements des accoudoirs et la texture du tissu sont plus vrais que nature… (il soupire) Il ne manque plus que la dame dessus.

L’horloge sonne la demie.

Le peintre : Mais qu’est-ce qu’elle fiche ? Si elle est encore en train de fricoter avec son mari, elle va m’entendre…Son mari…Seigneur Raguin, un homme vil, sans aucune culture, sans aucune sensibilité. Si j’essayais de lui vendre ma plus mauvaise toile, il la prendrait en ayant la certitude d’acquérir une œuvre digne de la chapelle Sixtine… (Imaginant et mimant la scène) Seigneur Raguin, vous faites là une bien bonne affaire…Je n’en doute point, jeune homme. mon œil de lynx…qui m’a valu tant de belles prises à la chasse sait aussi reconnaître un bon tableau…(Il reprend son travail ) Inculte, barbare…

L’horloge sonne le dernier quart.

Le peintre : (soupirant) Presque quatre heures. Madeleine ne viendra pas[1]
Dame Raguin : Je suis là.

Une dame rentre, vêtue d’une longue capeline noire.

Le peintre : Oh ma douce, vous voilà enfin.
Dame Raguin : Vous vous impatientez sans doute ?
Le peintre : Pas du tout. La ferveur de mon attente est proportionnelle à la hauteur de mon désir.
Dame Raguin : Je n’en doute point.

Elle retire sa capeline, elle porte une robe blanche dessous.

Le peintre : Mais entrez, je vous prie. Mettez-vous à nu…heu…mettez-vous à l’aise.
Dame Raguin : (amusée) Vous avez dit «  à nu » ?
Le peintre : Moi ? Non …
Dame Raguin : Vous avez dit «à nu » !
Le peintre : (avec un large sourire) Déformation professionnelle. Installez-vous comme il vous plaira.
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Dame Raguin : Je m’installe. Mais pas longtemps, j’ai peur qu’il faille écourter notre « séance » aujourd’hui.
Le peintre : Ah ? Et pourquoi cela…ma Joconde ?
Dame Raguin : Mon mari se doute de quelque chose….Tant d’heures passées dans votre atelier et pas une toile me représentant ne lui a été montrée.
Le peintre : Il y a bien celle qui est sur le chevalet mais elle n’est point à votre avantage. Surtout au regard de votre mari.
Dame Raguin : Voyons cela. (Elle se déplace jusqu’au chevalet  et regarde la toile. Elle pousse un cri de surprise) Ah ! Mon Dieu ! C’est…c’est…
Le peintre : Pas mal ?
Dame Raguin : Non ! C’est… indécent…je n’ai jamais posé ainsi devant vous.
Le peintre : Si, je vous assure.
Dame Raguin : Non ! Cette pose langoureuse… Ce…ce…sexe…. offert à la vue…
Le peintre : Vous n’aviez point honte de votre nudité après trois coupes de vin.
Dame Raguin : (Outrée) Oh !
Le peintre : Vous n’aviez pas oublié quand même ?
Dame Raguin : Il…il faut détruire ce tableau. Vous m’entendez ? Il faut le détruire !
Le peintre : Le détruire ? Vous n’y pensez pas ?
Dame Raguin : Il ne peut rester ici. Imaginez que mon mari vienne à le trouver. Il vous prête une des pièces de son château et vous bafouez son honneur…et le mien….et … (s’adoucissant ) quoique…
Le peintre : Quoique ?
Dame Raguin : Quoique…il est plutôt réussi. Les traits de mon visage, la ligne de mon cou, la courbure de mes seins, la finesse de mes hanches et… AH !…Ce sexe ! Non, non, non, il faut faire quelque chose….J’ai une idée, habillez-moi.
Le peintre : Plait-il ?

Elle va s’allonger sur le divan et prend une pose.

Dame Raguin : (désignant le tableau) Allez ! Peignez mes vêtements par-dessus mon corps. Cela ne devrait pas prendre trop de temps.
Le peintre : (Allant à son chevalet après une hésitation) Non, non, bien sûr. Cela ne devrait pas prendre trop de temps.
Dame Raguin : Alors qu’attendez-vous ?
Le peintre : (Il s’arme d’un  pinceau avec une mine déçue) Il est juste dommage de passer si peu de temps à vous dénuder sur le divan et de gâcher autant de peinture pour vous revêtir sur la toile…
Dame Raguin : Ne devenez pas grincheux. Pensez-vous avoir fini avant la prochaine heure ?

L’horloge sonne quatre coups.

Le peintre : Cela répond-t-il à votre question ?
Dame Raguin : Hâtez-vous avant que mon mari ne revienne de cette partie de chasse. Je suis sûre qu’il va passer nous voir.
Le peintre : Vous vous faites des idées. Ses parties de chasse l’emmènent souvent jusqu’aux portes segréennes. De plus, sa vieille pouliche a bien du mal à le porter. Lui et les kilos accumulés de ses nombreux festins. Nous avons tout notre temps.
Dame Raguin : Ne le sous-estimez pas. Savez-vous qu’une fois, Seigneur Raguin, a tué un chien qui était devenu enragé en lui enfonçant la main jusqu’au cœur ?
Le peintre : (ironique) Jusqu’au cœur…
Dame Raguin : Je tâcherais de me souvenir de vos railleries à son égard lorsque, dans le grand salon, j’admirerais votre tête entre celle du cerf et celle du sanglier.
Le peintre : Entre celle du cerf et du… ( Il s’active sur sa toile après un moment de flottement ) je vais me hâter, très Chère..

L’horloge sonne cinq coups.

Dame Raguin : Déjà ? En avez-vous bientôt fini ?
Le peintre : Je n’ai plus de blanc…
Dame Raguin : Peu importe. Prenez du rouge.
Le peintre : Du rouge ? Mais le haut de votre robe est en blanc. Si quelqu’un tombe sur ce tableau cela va quelque peu l’interpeller.
Dame Raguin : Oh ! Si on vous pose la question, répondez que « vous êtes en pleine inspiration et création, et vous tentez de créer une nouvelle mode »…Que sais-je ? Barbouillez-moi cela mais qu’on en finisse.
Le peintre : À votre guise. (Il s’active sur ses pinceaux. L’horloge sonne six coups.) Ça y est presque mais vos jambes sont longues et je crains bientôt de n’avoir plus assez de rouge…Vous devriez remonter le bas de votre robe…
Dame Raguin : Vous manquez de rouge à ce point ?
Le peintre : Non mais c’est juste histoire de voir le pli se dessiner
Dame Raguin : Oh ! Juste histoire de voir le pli se dessiner…

Dame Raguin s’exécute avec charme et volupté, se prêtant au jeu du peintre.

Dame Raguin : Ce pli vous convient-il ?
Le peintre : Tout à fait.
Seigneur Raguin : De quel pli parlez-vous, Madeleine ?

Le seigneur du château, en tenue de chasse, fait irruption sur scène, calmement, aussi maître des lieux que de son attitude.
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 La saynète "Les fantômes de Raguin a été jouée par la Commedia d'ici à Bruniquel (82) en 2010.
Elle fait partie de la pièce "Légendes d'Anjou et d'Ailleurs"
http://legendesdanjouetdailleurs.blogspot.fr/
Cliquez pour accéder au blog de présentation
Elle a aussi été jouée au Festival des festivals en 2009 au Canada.


[1] Jacques Brel

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