Commentaire : Saynète tirée de LÉGENDES D’ANJOU ET D’AILLEURS écrite en 2004, la plus ancienne de ce recueil donc. Elle a souvent été jouée individuellement et a traversé l'océan pour le Québec et l'Europe pour la République Tchèque. Elle est tirée d'une légende du Haut-Anjou à la suite d'un drame au château de Raguin près de Chazé-sur-Argos.
Durée approximative :
10 minutes
Personnages : 1
femme- 2 hommes- 1 voix off
Le peintre :
Jeune artiste fauché qui a profité de l’hospitalité du Seigneur Raguin pour
séduire sa femme et en faire sa maîtresse. Il n’accorde pas trop d’importance
aux soupçons que dame Raguin peut avoir au début de la saynète. Pour lui, son
mari n’est qu’un barbare et un imbécile pour délaisser une telle femme.
Dame Raguin :
Grande dame séduite par la délicatesse du peintre qui contraste avec le
caractère plus rude du Seigneur Raguin. Toutefois elle redoute son mari et ne
le sous-estime pas.
Seigneur Raguin :
Riche châtelain, adepte de la chasse à cour. Sera-t-il dupe encore longtemps de
la liaison de sa femme avec le peintre ?
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A
Jardin, un divan style renaissance. A cour, un peintre est figé lui aussi
devant son chevalet, le pinceau suspendu, l’air concentré.
Voix
off :
Chaque château a son histoire…Chaque histoire a ses passions… Chaque passion a
sa jalousie.
Un
temps.
Voix
off :
Le château de Raguin sur la commune de Chazé-sur-Argos n’échappe pas à la
règle.
Un
temps.
Voix
off :
Chaque histoire a ses passions…Chaque passion a sa jalousie…Chaque
jalousie a ses fantômes…
Le
peintre s’anime soudain, pose ses pinceaux et sa palette avant de s’essuyer les
mains dans une serviette. Il retire la toile et la remplace par une autre.
Celle-ci comme l’autre restera cachée du public.
Une
horloge invisible sonne le quart.
Le
peintre ne paraît pas satisfait de son travail, il observe le divan, puis sa
toile et redonne quelques petits coups
de pinceaux secs. Il chantonne l’air de « Madeleine » de Jacques
Brel.
L’horloge
sonne encore le quart.
Le
peintre :
(parlant à l’horloge invisible) Oui, bon, j’ai compris…Je n’y peux rien moi,
si Dame Raguin n’est pas à l’heure.
Il reprend un instant son activité puis s’arrête, contemple le tableau
puis le divan vide.
Le peintre : Pas mal….Les ornements des
accoudoirs et la texture du tissu sont plus vrais que nature… (il
soupire) Il ne manque plus que la dame dessus.
L’horloge
sonne la demie.
Le
peintre :
Mais qu’est-ce qu’elle fiche ? Si elle est encore en train de fricoter
avec son mari, elle va m’entendre…Son mari…Seigneur Raguin, un homme vil, sans
aucune culture, sans aucune sensibilité. Si j’essayais de lui vendre ma plus
mauvaise toile, il la prendrait en ayant la certitude d’acquérir une œuvre
digne de la chapelle Sixtine… (Imaginant et mimant la scène) Seigneur
Raguin, vous faites là une bien bonne affaire…Je n’en doute point, jeune homme.
mon œil de lynx…qui m’a valu tant de belles prises à la chasse sait aussi
reconnaître un bon tableau…(Il reprend son travail ) Inculte, barbare…
L’horloge
sonne le dernier quart.
Le
peintre :
(soupirant) Presque quatre heures. Madeleine ne viendra pas[1]…
Dame
Raguin :
Je suis là.
Une dame rentre, vêtue d’une longue capeline
noire.
Le
peintre :
Oh ma douce, vous voilà enfin.
Dame
Raguin :
Vous vous impatientez sans doute ?
Le
peintre :
Pas du tout. La ferveur de mon attente est proportionnelle à la hauteur de mon
désir.
Dame
Raguin :
Je n’en doute point.
Elle retire sa capeline, elle porte une robe
blanche dessous.
Le
peintre :
Mais entrez, je vous prie. Mettez-vous à nu…heu…mettez-vous à l’aise.
Dame
Raguin :
(amusée) Vous avez dit « à nu » ?
Le
peintre :
Moi ? Non …
Dame
Raguin :
Vous avez dit «à nu » !
Le
peintre :
(avec un large sourire) Déformation professionnelle. Installez-vous
comme il vous plaira.
Cie Prêts-textes-juillet 2017- Sainte Marie (La Réunion) |
Le
peintre :
Ah ? Et pourquoi cela…ma Joconde ?
Dame
Raguin :
Mon mari se doute de quelque chose….Tant d’heures passées dans votre atelier et
pas une toile me représentant ne lui a été montrée.
Le
peintre :
Il y a bien celle qui est sur le chevalet mais elle n’est point à votre
avantage. Surtout au regard de votre mari.
Dame
Raguin :
Voyons cela. (Elle se déplace jusqu’au chevalet et regarde la toile. Elle pousse un cri de
surprise) Ah ! Mon Dieu ! C’est…c’est…
Le
peintre :
Pas mal ?
Dame
Raguin :
Non ! C’est… indécent…je n’ai jamais posé ainsi devant vous.
Le
peintre :
Si, je vous assure.
Dame
Raguin :
Non ! Cette pose langoureuse… Ce…ce…sexe…. offert à la vue…
Le
peintre :
Vous n’aviez point honte de votre nudité après trois coupes de vin.
Dame
Raguin :
(Outrée) Oh !
Le
peintre :
Vous n’aviez pas oublié quand même ?
Dame
Raguin :
Il…il faut détruire ce tableau. Vous m’entendez ? Il faut le détruire !
Le
peintre :
Le détruire ? Vous n’y pensez pas ?
Dame
Raguin :
Il ne peut rester ici. Imaginez que mon mari vienne à le trouver. Il vous prête
une des pièces de son château et vous bafouez son honneur…et le mien….et … (s’adoucissant
) quoique…
Le
peintre :
Quoique ?
Dame
Raguin :
Quoique…il est plutôt réussi. Les traits de mon visage, la ligne de mon cou, la
courbure de mes seins, la finesse de mes hanches et… AH !…Ce sexe !
Non, non, non, il faut faire quelque chose….J’ai une idée, habillez-moi.
Le
peintre :
Plait-il ?
Elle va s’allonger sur le divan et prend une
pose.
Dame
Raguin :
(désignant le tableau) Allez ! Peignez mes vêtements par-dessus mon
corps. Cela ne devrait pas prendre trop de temps.
Le
peintre :
(Allant à son chevalet après une hésitation) Non, non, bien sûr. Cela ne
devrait pas prendre trop de temps.
Dame
Raguin :
Alors qu’attendez-vous ?
Le
peintre :
(Il
s’arme d’un pinceau avec une mine déçue)
Il est juste dommage de passer si peu de temps à vous dénuder sur le divan et
de gâcher autant de peinture pour vous revêtir sur la toile…
Dame
Raguin :
Ne devenez pas grincheux. Pensez-vous avoir fini avant la prochaine
heure ?
L’horloge
sonne quatre coups.
Le
peintre :
Cela répond-t-il à votre question ?
Dame
Raguin :
Hâtez-vous avant que mon mari ne revienne de cette partie de chasse. Je suis
sûre qu’il va passer nous voir.
Le
peintre :
Vous vous faites des idées. Ses parties de chasse l’emmènent souvent jusqu’aux
portes segréennes. De plus, sa vieille pouliche a bien du mal à le porter. Lui
et les kilos accumulés de ses nombreux festins. Nous avons tout notre temps.
Dame
Raguin :
Ne le sous-estimez pas. Savez-vous qu’une fois, Seigneur Raguin, a tué un chien
qui était devenu enragé en lui enfonçant la main jusqu’au cœur ?
Le
peintre :
(ironique) Jusqu’au cœur…
Dame
Raguin :
Je tâcherais de me souvenir de vos railleries à son égard lorsque, dans le
grand salon, j’admirerais votre tête entre celle du cerf et celle du sanglier.
Le
peintre :
Entre celle du cerf et du… ( Il s’active sur sa toile après un moment de
flottement ) je vais me hâter, très Chère..
L’horloge
sonne cinq coups.
Dame
Raguin :
Déjà ? En avez-vous bientôt fini ?
Le
peintre :
Je n’ai plus de blanc…
Dame
Raguin :
Peu importe. Prenez du rouge.
Le
peintre :
Du rouge ? Mais le haut de votre robe est en blanc. Si quelqu’un tombe sur
ce tableau cela va quelque peu l’interpeller.
Dame
Raguin :
Oh ! Si on vous pose la question, répondez que « vous êtes en pleine
inspiration et création, et vous tentez de créer une nouvelle mode »…Que
sais-je ? Barbouillez-moi cela mais qu’on en finisse.
Le
peintre :
À votre guise. (Il s’active sur ses pinceaux. L’horloge sonne six
coups.) Ça y est presque mais vos jambes sont longues et je crains bientôt
de n’avoir plus assez de rouge…Vous devriez remonter le bas de votre robe…
Dame
Raguin :
Vous manquez de rouge à ce point ?
Le
peintre :
Non mais c’est juste histoire de voir le pli se dessiner
Dame
Raguin :
Oh ! Juste histoire de voir le pli se dessiner…
Dame
Raguin s’exécute avec charme et volupté, se prêtant au jeu du peintre.
Dame
Raguin :
Ce pli vous convient-il ?
Le
peintre :
Tout à fait.
Seigneur
Raguin :
De quel pli parlez-vous, Madeleine ?
Le seigneur du château, en tenue
de chasse, fait irruption sur scène, calmement, aussi maître des lieux que de
son attitude.
----------------------------------------------------La saynète "Les fantômes de Raguin a été jouée par la Commedia d'ici à Bruniquel (82) en 2010.
Elle fait partie de la pièce "Légendes d'Anjou et d'Ailleurs"
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